INTERVIEW - Pourquoi devrions-nous
toujours déjeuner avec quelqu'un ? Philippe Silberzahn, professeur à
Polytechnique, à l'EM Lyon et spécialiste de l'innovation en entreprise,
explique les bienfaits de déjeuner seul, et pourquoi cela doit être un
choix personnel assumé.
PHILIPPE SILBERZAHN - Assurément, déjeuner seul n'est pas une tare! Mais c'est quelque chose qui est pour beaucoup difficile à assumer: il n'y a qu'à constater les petites remarques d'étonnement si un collègue nous surprend à déjeuner seul comme «tiens tu déjeunes seul? Tu n'as personne avec qui déjeuner?», et les regards quasi réprobateurs que l'on peut subir! Déjeuner seul doit être un acte assumé, mais le système actuel nous a fait intégrer l'idée que cette action était directement liée à du laisser aller, où un élément d'improductivité.
Pourquoi déjeuner seul? Quels en sont - s'ils existent! - les bienfaits?
Dans la vie - privée comme professionnelle - les moments de solitude permettent de se retrouver, de faire le point avec soi-même: se laver les dents, prendre sa douche, se balader seul... Il est simple de perdre du temps! Mais c'est aussi pendant ces moments avec soi-même que l'on peut avoir ses idées les plus brillantes. Déjeuner seul fait partie de ces moments: on peut, bien-sûr, réfléchir, mais on peut aussi faire des rencontres fortuites, qui peuvent par la suite s'avérer décisives.
Organiser des déjeuners est-il indispensable pour bien réseauter, et réussir sa carrière?
Naturellement! C'est indispensable. Le déjeuner de réseautage fait et fera toujours partie des éléments pour progresser professionnellement. Mais il ne doit en aucun cas être systématiquement associé à une occasion de «profiter» de tel ou tel personne: nouveaux contrats, potentiels clients... Le déjeuner est aussi l'occasion de voir des personnes avec qui vous avez des affinités et des points communs: ne pas déjeuner uniquement pour le côté business, mais aussi par plaisir! Il n'y a rien de plus agréable de déjeuner avec quelqu'un dont on sait que la conversation sera passionnante, mais qui est encore inconnue. C'est aussi l'occasion de faire une sorte de «blind date» et de rencontrer des personnes complètement inconnues.
À l'heure où le temps de la pause déjeuner se réduit comme peau de chagrin (et où la crise implique toujours plus de productivité, de stress) peut-on multiplier les déjeuners en toute impunité et ne pas céder au sandwich jambon beurre à son bureau?
Cette notion de culpabilité liée à la prise d'une pause, quel qu'elle soit, doit absolument disparaître! Il faut simplement se forcer à être responsable, et ne pas partir déjeuner quand toute l'équipe est sous l'eau, par exemple. Mais c'est vrai que si vos collègues restent au bureau et avalent un sandwich, partir déjeuner peut vous attirer les foudres de vos collaborateurs... Si cette pratique devient une habitude, on peut facilement se laisser aller à des réflexions primaires. Il ne faut en aucun cas se laisser influencer par une culture bêtement productiviste.
Quel rythme préconiseriez-vous?
Chacun doit trouver le sien! Si l'on se sent exclusivement bien dans l'un des deux extrêmes, il est cependant inutile de se priver.
Vous arrive-t-il de déjeuner seul? Pourquoi?
Je dois admettre que cela m'arrive rarement. Et le plus souvent, cela arrive de manière hasardeuse, les jours où je n'ai rien prévu. En revanche, je ne «choisis» jamais les jours où je déjeune seul. De même, je ne me suis jamais dit «tiens, je n'ai rien de prévu ce midi, il faut absolument que je trouve quelqu'un pour déjeuner!»
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